7 scénarios à risque pour l’économie mondiale

Les récents rapports des principaux forums internationaux – le FMI en avril et en juillet, le WEF en mai, l’OCDE,  la Banque mondiale et  la BRI en juin respectivement – offrent une image assez cohérente des années à venir : en 2022, un pic d’inflation et, en réponse, un resserrement monétaire progressif, suivi d’un « atterrissage en douceur » en 2023, et, en 2024, un retour à la normale et à la Grande Modération en matière d’inflation.

Les hypothèses qui sous-tendent ces prévisions économiques pour 2023-2024 sont plus ou moins les mêmes:

  • Les banques centrales réussissent à engager un resserrement « ordonné » de la politique monétaire pour freiner les pressions inflationnistes;
  • La guerre en Ukraine est contenue à sa frontière orientale, aucune autre sanction n’est prise en dehors de celles déjà mises en œuvre et les perturbations en approvisionnement énergétique ne s’aggravent pas;
  • La pandémie est terminée, malgré quelques rebonds épidémiques ici et là, et les taux de vaccination augmentent continuellement;
  • Les goulets d’étranglement sur les marchés du travail et dans les chaînes d’approvisionnement mondiales sont progressivement résolus;
  • Les mesures de soutien budgétaire liées à la pandémie sont progressivement supprimées et remplacées par des politiques de moindre ampleur mais plus ciblées pour les plus vulnérables.

Et pourtant, les récents événements – perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales et augmentation des pressions inflationnistes, guerre en Ukraine, confinements en Chine – marquent la fin d’une ère, celle de la politique monétaire accommodante et de faible inflation durant la dernière décennie. La crainte d’une inflation hors contrôle, tirée par les anticipations des entreprises et des ménages, se reflète dans l’attitude de plus en plus belliciste des banquiers centraux. On passerait ainsi d’un quoi-qu’il-en-coûte pour soutenir l’économie à un quoi-qu’il-en-coûte pour tuer l’inflation. Pour la BRI, « le défi le plus urgent pour les banques centrales est de rétablir une inflation faible et stable, si possible sans infliger de dommages graves à l’économie ». Près de la moitié des économistes en chef interrogés par le WEF « sont d’accord » ou « tout à fait d’accord » pour dire que « le risque de croissance à long terme dû à une inflation plus élevée l’emporte sur le risque de contraction dû au resserrement monétaire ».

Les hypothèses ci-dessus deviennent de plus en plus improbables. C’est vrai pour la perspective d’un resserrement monétaire subtil et ordonné, et pour les restrictions énergétiques qui en resteraient au scenario des sanctions en avril derniers. Les organisations internationales mettent d’ailleurs en évidence un certain nombre de scenarios à risque qui, s’ils devaient se réaliser, pourraient faire dérailler les scénarios de référence. Un examen plus approfondi permet de distinguer sept scénarios.

Un approfondissement de la crise de l’énergie et des matières premières: la guerre en Ukraine a un impact beaucoup plus profond sur l’approvisionnement en énergie et en matières premières en raison des sanctions contre la Russie combinées à un arrêt des exportations de gaz vers l’Europe. L’OCDE estime qu’un scénario d’embargo total pousserait la plupart des pays européens en récession en 2023. Dans ses dernières prévisions de juillet, le FMI suggère qu’un tel scénario réduirait la croissance mondiale de 3,2% à 2,8% en 2022 et de 2,9% à 2,6% en 2023.

Le resserrement monétaire devient abrupt : les anticipations d’inflation deviennent incontrôlables, obligeant les banques centrales à augmenter les taux directeurs beaucoup plus rapidement que prévu. La hausse soudaine des taux aiderait à freiner les pressions inflationnistes, mais elle aurait un coût élevé pour les particuliers et les entreprises, risquant un atterrissage brutal pour l’économie mondiale. Les projections du FMI dans ce scénario verraient la croissance mondiale passer de 3,2 % à 3 % en 2022 et de 2,9 % à 2,3 % en 2023.

La combinaison de ces deux scénarios à risque – restrictions énergétiques + resserrement agressif – porterait la croissance de l’économie mondiale à seulement 2 % en 2023, un niveau jamais vu depuis des décennies, et pousserait l’UE au bord de la récession avec une prévision du FMI de -0,1 % en 2023. Comme si les perspectives n’étaient pas assez sombres, dans l’ensemble cinq autres scénarios à risque pour les cinq prochaines années se dégagent des récentes études des organisations internationales.

La pandémie se poursuit et combine à un ralentissement chinois : une nouvelle variante du Covid-19 fait son apparition et la pandémie est loin d’être terminée. La politique zéro-covid en Chine se transforme en un désastre économique, qui à son tour exacerbe les vulnérabilités existantes de l’économie et du système financier chinois: des niveaux élevés d’endettement des gouvernements locaux, des promoteurs immobiliers et des ménages et un système financier qui manque de transparence et de contrôles réglementaires.

Les marchés financiers déstabilisés : un resserrement monétaire abrupt élimine non seulement toute perspective de croissance dans les économies avancées, mais se poursuite par une crise financière majeure de l’ampleur de 2008. La fuite massive des capitaux déstabilise les économies émergentes, tandis que les vulnérabilités financières accumulées au cours de la dernière décennie d’assouplissement monétaire arrivent à l’implosion. Pour la BRI, « des vulnérabilités structurelles sous forme d’effets de levier cachés et d’asymétries de liquidités sont importantes dans le secteur de la gestion d’actifs ».

Une transition climatique désordonnée : les pénuries d’énergie fossile ne sont pas compensées par les énergies renouvelables tandis que la mauvaise tarification du carbone reste un problème persistant. Une telle transition désordonnée réduirait la productivité, coûtant entre 5 et 10% de points PIB d’ici 2040, avec un impact plus important pour la Chine et l’Inde. Un rapport récent du CEPII estime que les deux pays représenteraient plus de 55% de la consommation mondiale d’énergie d’ici 2050.

Une transition vers des économies de guerre : les conflits géopolitiques changent d’échelle et conduisent à un réarmement de l’Europe occidentale. En période d’assainissement budgétaire et d’arbitrages de politiques publiques de plus en plus délicats, un réarmement – atteignant 3 % du PIB – évince les dépenses axées sur la croissance et le développement durable (éducation, santé, infrastructures et transition climatique) avec un multiplicateur budgétaire beaucoup plus faible.

Les principales économies optent pour la relocalisation: les tensions géopolitiques conduisent également à des stratégies de « re-shoring » et de « friend-shoring » parmi les économies avancées, notamment l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord – ce qui a incité la Chine à adopter des politiques similaires. Selon la Banque mondiale, ce scénario de « relocalisation » par les principales économies aurait un impact négatif, notamment une baisse du revenu réel de 1,5 % dans le monde d’ici 2030. L’impact serait cependant minime pour les économies avancées, mais très élevé pour la Chine et pour les économies en développement dans leur ensemble.

Scroll down to content