Lors des discussions budgétaires annuelles fin octobre, l’Assemblée nationale a examiné deux propositions qui, adoptées, auraient fondamentalement transformé le système fiscal français pour les entreprises multinationales et pour les plus fortunés. Les débats ont offert un aperçu unique sur les divisions politiques en France en matière de fiscalité internationale. Une première proposition portait sur les bénéfices locaux des multinationales établies en France. Une seconde, la « taxe Zucman », consistait en un impôt supplémentaire sur les particuliers possédant plus de 100 millions d’euros d’actifs et dont la fiscalité totale n’atteint pas l’équivalent de 2% de leurs actifs.
La proposition de réforme de la fiscalité des multinationales visait à passer du « principe de pleine concurrence » selon le standard de l’OCDE à un système de « taxation unitaire » qui comblerait un manque à gagner fiscal de l’ordre de 20 à 30 milliards d’euros par an et permettrait de remédier au traitement fiscal inégal entre les multinationales et les PME en France, selon les députés de gauche. Le gouvernement et les députés de droite se sont opposés fermement à la proposition, en pointant du doigt les obstacles juridiques et l’impact économique. Roland Lescure, ministre des Finances, menait la charge, qualifiant l’amendement de « doigt d’honneur » à l’encontre des 125 pays avec lesquels la France a des traités fiscaux basés sur les normes de l’OCDE.
La session sur la taxe Zucman a été présentée par des députés de gauche comme une étape indispensable vers la justice fiscale et la cohésion sociale. Alors que les ménages médians paient plus de 5% de leur richesse en impôts, soutenaient-ils, les milliardaires paient souvent beaucoup moins grâce à l’optimisation fiscale, avec le risque de créer une « oligarchie » qui trahirait les « idéaux républicains ». Ils y ont vu un outil essentiel pour combattre les « armées d’avocats fiscalistes » et de mettre fin à une décennie de politiques en faveur des ultra-riches.
Le gouvernement et les députés de droite, dans l’opposition, ont qualifié la taxe Zucman de « confiscatoire » et donc inconstitutionnelle. Selon eux, cette taxe déclencherait une fuite catastrophique de capitaux et d’investisseurs, elle « écœure la France qui travaille», et échouerait techniquement à taxer la richesse « illiquide », y compris les startups et les entreprises de la tech. Le ministre du Budget a prédit que le Conseil constitutionnel ne laisserait pas passer cette taxe.
Au regard de ces deux sessions parlementaires et de la couverture médiatique qui les entourait, trois cadrages problématiques n’ont pas forcément contribué à garantir un débat éclairé et équilibré :
- Les deux propositions étaient le plus souvent présentées comme une fiscalité supplémentaire et non comme des mesures correctrices de la sous-imposition des milliardaires et des multinationales respectivement.
- Une distinction imaginaire entre actifs « productifs » et « non productifs », suggérant qu’il fallait éviter à tout prix de taxer les revenus ou actifs liés à l’entreprise (« appareil productif », « biens professionnels »), vidant de sa substance la taxe Zucman.
- La question de la justice fiscale rapidement noyée dans le débat sur le prétendu record mondial de la France en matière de charge fiscale, malgré les controverses de ce type de comparaison.
L’incertitude juridique des propositions était un argument central pour les opposants. Le cas de la taxation des multinationales était tout à fait pertinent. Le dossier juridique contre la taxe Zucman était bien plus faible. L’ironie veut que la proposition la fragile juridiquement sur la fiscalité des multinationales fut adoptée, tandis que la taxe Zucman, bien plus robuste, fut rejetée.
Ces deux propositions législatives ne survivront probablement pas au processus budgétaire sous la coalition gouvernementale actuelle. Pour autant elles ne sont pas prêtes de disparaître du paysage politique. La France « surperforme » très clairement au niveau mondial lorsqu’il est question de ses milliardaires et millionnaires. Alors que la France se classe septième en termes de PIB, elle est troisième en nombre de millionnaires (en USD), et quatrième en richesse de ses milliardaires. Dans le même temps, la France figure parmi les pays les plus touchés par l’évasion fiscale et des pratiques d’optimisation fiscale.
A propos de justice fiscale, la France détient l’une des fiscalités des plus régressives des pays de l’OCDE, au sens où les recettes fiscales y dépendent disproportionnellement du travail et de la consommation intérieure, par opposition à l’impôt sur le revenu, les bénéfices des entreprises et les plus-values. La comparaison avec la moyenne de l’OCDE et les pays voisins est même stupéfiante.
