Les perspectives et les scénarios à risques en 2023-2024

Le lot traditionnel de rapports annuels sur les perspectives économiques publiés fin 2022 et en janvier de cette année – venant du FMI (mise à jour d’octobre et janvier), de l’OCDE (novembre), la Banque mondiale (janvier), la Commission européenne (novembre), la  Banque centrale européenne (décembre) et la Réserve fédérale américaine (novembre) – offre des projections assez uniformes dans l’ensemble: au mieux, le ralentissement actuel de l’économie mondiale se stabilisera en 2023, au pire, il se transformera en récessions – en Europe probablement, aux États-Unis peut-être, dans les économies émergentes dépendantes de l’énergie et / ou endettées si les choses tournent vraiment mal.

Les projections de croissance mondiale pour 2023 ont été continuellement revues à la baisse depuis la dernière série de rapports en avril-juin 2022. Les dernières prévisions de croissance du PIB pour 2023 vont de +1,7 % pour la Banque mondiale à +2,6 % pour le FMI (fin janvier). Quoi qu’il en soit, nous aurons le taux de croissance le plus faible de ces 20 dernières années, mis à part 2009 (crise financière mondiale) et 2020 (confinements liés au Covid-19). Un rebond est maintenant repoussé au second semestre 2024.

Ces prévisions contrastent avec les mêmes rapports publiés mi-2022, qui prévoyaient un « atterrissage en douceur » en 2023 et, début 2024, un retour au statu quo et à la Grande Modération – faible inflation, taux d’intérêt bas, dette bon marché. Entre-temps, en effet, certaines des hypothèses clés à la mi-2022 ne se sont pas vérifiées:

  • Les banques centrales devaient engager un « resserrement monétaire ordonné » pour freiner les pressions inflationnistes. On en est loin. L’inflation est toujours là et le resserrement se poursuit;
  • La guerre en Ukraine serait contenue, il n’y aurait pas de sanctions supplémentaires, ni d’aggravation des approvisionnements énergétiques. La guerre en Ukraine est peut-être « contenue », mais l’escalade se produit et il y a certainement eu une aggravation des approvisionnements énergétiques en Europe;
  • Les goulets d’étranglement sur les marchés du travail et dans les chaînes d’approvisionnement mondiales disparaîtraient progressivement. Les contraintes du côté de l’offre sont persistantes et ne peuvent être mises sur le dos d’un rebond temporaire post-covid, et les offres d’emploi non pourvues atteignent des records.

L’inflation est, et restera bien au-dessus des objectifs des banques centrales dans pratiquement tous les pays qui ont adopté une telle règle. La persistance de l’inflation sous-jacente donne à penser que les causes sont structurelles et liées aux contraintes du côté de l’offre, plutôt qu’à la surchauffe du côté de la demande. Si c’est le cas, il ne sera pas facile de traiter l’inflation par les taux d’intérêt directeurs des banques centrales. Contrairement aux années 1970 et au scénario tant redouté de la « spirale salaires-prix » (les négociations sur la croissance salariale dépassent et donc alimentent l’inflation), les hausses salariales en 2022 n’ont pas suivi l’inflation des prix, ce malgré les pénuries de main-d’œuvre et le nombre record de postes vacants. Les salaires réels et les revenus disponibles des ménages ont baissé dans la plupart des économies de l’OCDE.

Les scénarios à risques

Ces rapports du FMI, de l’OCDE, de la Banque mondiale, de la Commission, de la BCE et de la Réserve fédérale américaine présentent tous des scénarios à risque pour 2023 et 2024. En tenant compte des perspectives publiés par d’autres institutions de premier plan, notamment le Forum économique mondial  et le Atlantic Council, ainsi qu’une sélection d’institutions financières (y compris Allianz, BlackRock,  BNP Paribas, Citi, Deutsche Bank, Goldman Sachs, ING & Natixis), nous obtenons la liste suivante :

L’aggravation de la crise énergétique est la principale menace pour presque la totalité des organisations internationales (notamment la Commission, la BCE, le FMI et l’OCDE). La Russie arrêterait complètement les livraisons de gaz à l’Europe que la recherche de sources alternatives d’approvisionnement ne serait pas en mesure de compenser. L’Europe tomberait inévitablement en récession. Les États-Unis en seraient tout proche.

L’aggravation du ralentissement de la Chine. Le passage à un modèle de croissance par la consommation de la classe moyenne est un objectif de longue date des autorités chinoises, mais les progrès ont été lents. Le secteur de la construction et de l’immobilier a été le véritable moteur de la croissance en Chine ces dernières années, représentant environ 25% du PIB. Comme il est très peu probable que la croissance soit tirée par les exportations – compte tenu de la situation économique déprimée en Europe et aux États-Unis – l’économie chinoise dépend plus que jamais de la stabilité du secteur immobilier. Une crise du marché immobilier en Chine, amplifiée par les niveaux élevés d’endettement des entreprises, se répercuterait à l’échelle mondiale.

Resserrement excessif des politiques monétaires. Des banquiers centraux qui commettrait « des erreurs » de politique monétaire est un autre scénario à risques largement partagé par les organisations internationales et les institutions financières. « Le risque d’erreurs de politique est élevé » (Banque Mondiale), il pourrait se produire si « l’inflation sous-jacente diminue, mais les banques centrales tardent à reconnaître l’amélioration » (Goldman Sachs). L’Europe et les États-Unis seraient au bord de la récession. Pour les économistes keynésiens – une denrée rare ces derniers temps – non seulement un resserrement supplémentaire serait une erreur, mais l’utilisation même des hausses de taux d’intérêt pour freiner l’inflation du côté de l’offre est totalement inefficace.

Une autre crise mondiale de la dette. Le resserrement monétaire en cours pourrait déclencher une réaction en chaîne dans le monde entier, une préoccupation centrale pour la Banque mondiale et le FMI. Les défauts de paiement sur la dette souveraine se multiplieraient dans les marchés émergents. Selon le FMI, sur les 69 pays à faible revenu, 9 sont déjà surendettés, 28 à haut risque et 25 à risque modéré. Avec des factures d’importation insoutenables, une marge de manœuvre budgétaire limitée et un accès restreint à court terme aux marchés internationaux, les conséquences économiques et sociales pourraient reproduire le scenario du Sri Lanka dans nombre de pays. L’Europe et les États-Unis seraient sévèrement touchés avec une forte probabilité de récession.

Une transition climatique désordonnée. Outre des événements météorologiques plus extrêmes encore, 2023 pourrait voir l’écart entre la réalité et l’ambition de l’accord de Paris continuer à se creuser. Plusieurs facteurs y contribueraient :

  • Impact de la crise de la dette: les pays sont incapables de mobiliser des financements pour l’énergie propre, dont les estimations sont basées sur des hypothèses de dette bon marché.
  • L’argument de l’inflation s’insinue peu à peu dans les cercles des pouvoirs politiques : l’énergie propre est, à tort, associée à l’inflation et aux contraintes d’offre. Pour Black Rock, « la transition [vers une émission nette zéro] devrait ajouter aux contraintes de production, conduisant à une inflation plus volatile ».
  • Un jeu à somme nulle entre adaptation et atténuation: une augmentation des financements pour l’adaptation, les pertes et les dommages climatiques conduirait à un « recul dans le l’agenda sur l’atténuation du changement climatique ».
  • Un échec de la transition juste : les coûts sociaux de la transition restent incontrôlés, avec la montée des populistes et de l’extrême droite, une partie de la classe moyenne et de la classe ouvrière se retourne contre la transition climatique.
  • Perte de dynamisme des entreprises et des investisseurs: les pratiques d’investissement responsable sont inefficaces (« greenwashing »), la résistance ou la passivité des actionnaires s’accentue, les gouvernements ne garantissent pas des incitations suffisantes et des conditions de concurrence équitables.

Les risques géopolitiques sont évidemment mentionnés dans les perspectives économiques. Le défi pour les économistes est bien sûr de prédire et de « quantifier » les conséquences économiques des conflits armés et des tensions géopolitiques. Trois scénarios se dégagent :

  • L’insécurité géopolitique s’intensifie. La liste des risques géopolitiques est longue, les plus cités incluent: (i) une impasse en Ukraine ou une victoire russe, (ii) un conflit ouvert, mais sous le seuil de la guerre, en Taïwan, et (iii) une nouvelle crise au Moyen-Orient. L’insécurité mondiale conduirait entre autres à une nouvelle course aux armements et à un doublement des dépenses militaires en Europe en particulier, avec des arbitrages budgétaires difficiles à faire.
  • La « guerre géoéconomique » et la « militarisation » des politiques économiques et commerciales pour contraindre de manière proactive les « nations rivales » ont d’une certaine manière déjà cours, mais elles pourraient atteindre une nouvelle dimension dans un monde polarisé autour d’un « G2 », avec un renouveau du protectionnisme et une réorganisation de la mondialisation en deux blocs distincts : les États-Unis et la Chine.
  •  Enfin , l’affaiblissement du multilatéralisme se manifesterait par des échecs à répétition dans les instances internationales clés, notamment lors de la prochaine réunion de la COP, mais aussi à l’OMS, l’ONU, l’OMC et au G20, ce qui amplifierait à son tour les conséquences économiques et sociales du ralentissement économique et des scénarios à risques ci-dessus.
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